
Le 25 août 2025, François Bayrou, Premier ministre, a annoncé demander un «vote de confiance» qui aura lieu le 8 septembre prochain. Sa responsabilité sera donc en jeu devant l’Assemblée nationale, comme dans le cas, plus classique ces dernières années, d’une motion de censure. Mais, entre la confiance et la censure, si l’enjeu est le même (le Gouvernement «tombera»-t-il ou non?), la procédure diffère et, surtout, la manière de comptabiliser les suffrages des députés. Le vote de confiance est bien plus risqué comme nous allons le voir.
Pour qu’une motion de censure — toujours d’initiative parlementaire — soit adoptée, il faut que la majorité des membres de l’Assemblée nationale la votent: s’abstenir ou «avoir piscine» revient à soutenir de fait le Gouvernement.
L’engagement de responsabilité — qui est une décision prise en Conseil des ministres — implique qu’une majorité des votes exprimés soit favorable explicitement au Gouvernement. Autrement dit, sans qu’il y ait de majorité qualifiée (comme pour une censure), le Gouvernement doit recevoir plus de votes «pour» que de votes «contre». Les abstentions ne sont pas décomptées (et ne bénéficient donc pas au Gouvernement, comme dans le cas de la censure).
Pour comprendre la différence entre les deux procédures, comparons le nombre de voix nécessaires. Dans le cas d’un engagement de responsabilité du Gouvernement par un vote «de confiance», la balance n’est calculée qu’entre les «pour» et les «contre», sans compter dans les exprimés les votes blanc, les absentions ou les absences.
S’il n’y a que 200 votants, dont 99 pour et 101 contre, alors le Gouvernement est renversé. C’est la grande différence avec la motion de censure qui, pour être adoptée, nécessite un vote explicite en sa faveur de 289 députés, la majorité absolue des 577 députés. (C’est parfois un peu moins quand des sièges sont vacants par décès, démission ou invalidation et que l’élu·e suppléant·e n’a pas été installé ou que l’élection partielle n’a pas encore eu lieu.).
Revoyons cela de près avec la Constitution (ce que François Bayrou lui-même, très longtemps parlementaire, ne peut ignorer).

(source : Nicolas Koraric/UE, Wikimedia Commons, lic. CC-BY 4.0 int.).
La mise en jeu de la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale est réglée par les articles 49 et 50 de la Constitution, qu’il s’agisse de la demande d’un vote de confiance ou d’une motion de censure déposée par les parlementaires.
Le second (l’article 50), traite des conséquences, soit de l’adoption d’une motion de censure, à la majorité qualifiée, par l’Assemblée nationale, soit d’un refus de la confiance demandée par le Gouvernement :
Lorsque l’Assemblée nationale adopte une motion de censure ou lorsqu’elle désapprouve le programme ou une déclaration de politique générale du Gouvernement, le Premier ministre doit remettre au président de la République la démission du Gouvernement.
Précisons qu’il peut y avoir des déclaration de politique générale non suivies de votes (sur lesquelles, donc, le Gouvernement n’engage pas sa responsabilité).
L’article 49 détaille les conditions d’engagement de la censure et de la confiance («engagement de la responsabilité du Gouvernement»). Il comprend quatre alinéas dont le plus célèbre est le troisièm²e (dit «article 49,3»). Les voici (je rajoute le numéro d’alinéa au début de celui-ci):
1. Le Premier ministre, après délibération du Conseil des ministres, engage devant l’Assemblée nationale la responsabilité du Gouvernement sur son programme ou éventuellement sur une déclaration de politique générale.
L’engagement de responsabilité (communément appelé «vote de confiance» dans la tradition parlementaire depuis la IIIe République) est donc une initiative prise par le chef du Gouvernement et approuvée formellement en Conseil des ministres. Elle est classique, ou plutôt l’était, lorsque le Gouvernement dispose d’une majorité parlementaire (ce qui n’est plus le cas depuis 2022).
Pour que la confiance soit votée (formellement, que la déclaration de politique générale ou le programme soit approuvé), on applique la règle commune pour les votes : la majorité absolue de «pour» par rapport aux «contre», les abstentions ou les absences étant décomptées des exprimées. Dans cette hypothèse, un député appartenant à la majorité (ou aujourd’hui à ce qu’on appelle le «bloc central» qui va des macronistes aux Républicains) qui s’abstiendrait ou «aurait piscine» nuirait à son propre camp en renforçant le poids des «contre».
2. L’Assemblée nationale met en cause la responsabilité du Gouvernement par le vote d’une motion de censure. Une telle motion n’est recevable que si elle est signée par un dixième au moins des membres de l’Assemblée nationale. Le vote ne peut avoir lieu que quarante-huit heures après son dépôt. Seuls sont recensés les votes favorables à la motion de censure qui ne peut être adoptée qu’à la majorité des membres composant l’Assemblée. Sauf dans le cas prévu à l’alinéa ci-dessous [49,3] , un député ne peut être signataire de plus de trois motions de censure au cours d’une même session ordinaire et de plus d’une au cours d’une même session extraordinaire.
La motion de censure est d’initiative parlementaire. La Constitution de la Ve République l’a très fortement encadrée. Elle s’apparente à une demande de vote hostile à la politique générale du Gouvernement, mais la majorité qualifiée requise la rend très difficile à adopter. En fait, la Ve République n’en a connu que deux qui aient été adoptées:
- En 1962, contre le gouvernement Pompidou (en raison de l’opposition du parti centriste MRP et de la droite non gaulliste au projet d’élection du président de la République au suffrage universel). (De Gaulle a dissous l’Assemblée, gagné son référendum et, dans la foulée, obtenu une majorité parlementaire en nommant à nouveau Pompidou qui, entretemps, continuait à exercer les affaires courantes.)
- En 2024, contre le gouvernement Barnier, à la suite du rejet d’une censure faisant suite à l’usage du «49,3» pour faire passer en force le budget de la Sécurité sociale («projet de loi de financement de la Sécurité sociale»).
La règle de la «majorité qualifiée» a été établie à la suite notamment des pratiques parlementaires de la IVe République où nombre de gouvernements étaient tombés en raison d’abstentions «calibrées» entre ceux que François Mitterrand appelait les «caciques» (Le coup d’État permanent, 1964)… ce qu’il fut lui aussi.
3. Le Premier ministre peut, après délibération du Conseil des ministres, engager la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale sur le vote d’un projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale. Dans ce cas, ce projet est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée dans les conditions prévues à l’alinéa précédent. Le Premier ministre peut, en outre, recourir à cette procédure pour un autre projet ou une proposition de loi par session.
Cet article a été modifié depuis 1958: une première fois en 1995 en raison du passage à la session annuelle unique se substitutions aux deux sessions d’automne et de printemps.
La modification la plus significative est liée à la révision constitutionnelle «Sarkozy» de 2008. Antérieurement, l’usage du 49,3 n’était pas limité pour le Gouvernement. Désormais, hormis les lois de financement (budget de l’État, Sécurité sociale), le Gouvernement ne peut invoquer l’article 49,3 que pour un projet de loi (d’initiative gouvernementale) ou une proposition de loi (d’initiative parlementaire) par session, autrement dit une fois par an pour tous les textes qui ne sont pas financiers.
Ne commettons pas l’erreur, fréquente, de réduire la Sécurité sociale à la seule assurance maladie; elle comprend aussi quatre autres branches famille, dont handicap et logement… ; accidents du travail et maladies professionnelles ; retraite (vieillesse et veuvage) ; autonomie. S’y ajoute la branche cotisations et recouvrement. Les mesures sur les retraites relevaient des lois de financement de la Sécurité sociale, et ont donc permis l’usage à répétition du 49,3.
Dans le cas du 49,3, si — formellement — le Gouvernement «engage sa responsabilité», c’est par défaut pour provoquer une adoption automatique du projet. Pour s’y opposer, les parlementaires n’ont comme solution que de recourir à une motion de censure «hors quota» (dans les autres cas, un député ne peut signer que trois motions de censure lors d’une même session annuelle). Et la procédure est celle de la motion de censure avec sa majorité qualifiée.
4. Le Premier ministre a la faculté de demander au Sénat l’approbation d’une déclaration de politique générale.
Cet alinéa est inchangé depuis 1958. Les pouvoirs du Sénat ayant été sensiblement relevés par rapport à ce qu’était le «Conseil de la République» de la IVe République, mais pas autant que sous la IIIe République (voir ces deux articles liés, ici et là, sur un ancien blog qui n’a plus qu’une fonction d’archive).
Le principe parlementaire étant que le Gouvernement est responsable devant la Chambre élue au suffrage universel direct (l’Assemblée nationale était la seule dans ce cas jusqu’en 1965, première année d’élection directe du chef de l’État), le Sénat ne peut pas renverser le Gouvernement.
Mais c’est une manière courtoise de traiter la Haute Assemblée: on ne peut oublier qu’avant d’être le premier Premier ministre de la Ve République, le garde des Sceaux Michel Debré — qui a joué un rôle très importants, mais pas exclusif — dans la préparation de la Constitution de 1958… était membre du Conseil de la [IVe] République.